“A un moment, l’éradication de la poliomyélite semblait possible. Puis la dure loi de santé publique nous l’a rappelé : il ne faut jamais relâcher nos efforts”, raconte Maël Bessaud. Cet expert du virus de la poliomyélite à l’Institut Pasteur continue de dire la même consigne : « Vaccinons-nous et restons vigilants. Dans les pays occidentaux, la poliomyélite semble lointaine, inexistante, mais elle est toujours là. Fin juillet, un cas de poliomyélite aux États-Unis, le premier depuis près de dix ans, s’est produit en rappel. L’homme atteint, âgé de 20 ans et habitant du comté de Rockland, une banlieue de New York, s’était rendu à l’hôpital en raison d’une paralysie de la jambe. Le diagnostic est tombé rapidement. Il n’était pas vacciné. Aujourd’hui, il souffre toujours d’une paralysie partielle. Cette maladie très contagieuse, causée par un virus qui envahit le système nerveux et peut provoquer une paralysie permanente voire la mort, est pourtant considérée comme éradiquée dans la majeure partie du monde. En 1988, il y avait environ 350 000 cas par an, principalement chez des enfants de moins de cinq ans, dans 125 pays. Aujourd’hui, ce nombre est tombé à 99 %. “Des progrès incroyables grâce aux campagnes de vaccination de masse lancées par l’Initiative mondiale pour éliminer la pyélite”, salue Maël Bessaud. Le virus continue de circuler de manière endémique dans seulement deux pays : l’Afghanistan et le Pakistan.

Un cercle vicieux de vaccins

Alors comment se fait-il que ce jeune américain ait contracté une maladie presque oubliée dans les pays occidentaux ? Car tant que le virus ne sera pas éliminé à 100%, il continuera à circuler”, commente simplement l’expert. Premier scénario possible : le patient s’est rendu dans un pays où le virus circule encore ou a été en contact avec un patient revenant de là. “D’autant plus que le virus de la poliomyélite, qui se transmet féco-oral par l’eau, les aliments contaminés ou les couches pour bébés, par exemple, a une particularité : il ne provoque la paralysie que chez un patient sur 200”, explique Maël Bessaud. “Cela signifie que le nombre de personnes susceptibles de le porter est bien supérieur au nombre de patients réels.” Cela s’est produit récemment au Malawi et au Mozambique. Deux enfants, non informés de leur vaccination, ont été infectés par une souche du virus en provenance du Pakistan, transmise subrepticement par une personne asymptomatique. Dans le cas de ce patient américain, cependant, des analyses génétiques ont permis d’écarter cette trace. Cette fois, l’explication réside dans un effet pervers de la vaccination. Deux types de vaccins ont été développés dans le monde : l’un, par injection, est le plus répandu dans les pays développés. l’autre, orale, est surtout utilisée partout. “Le premier utilise un vaccin inactivé”, explique Maël Bessaud. “Il protège contre la maladie mais pas contre le virus. Vous pouvez donc être porteur sans le savoir et être à risque si vous rencontrez une personne non vaccinée.” “Le vaccin oral a l’avantage d’être facile à administrer, mais surtout il protège contre la maladie et prévient l’infection par le virus. C’est donc mieux pour prévenir la transmission interhumaine”, poursuit-il. “Mais dans son cas, nous utilisons un virus de la poliomyélite” atténué “, qui est inoffensif mais toujours vivant.” Dans les semaines qui suivent la vaccination, le patient excrétera ce virus dans ses selles et donc dans l’environnement. Rien de grave si tout le monde autour de lui est également vacciné par voie orale. “Mais s’il se trouve dans une communauté non vaccinée ou se rend dans une région où seul le vaccin injectable est utilisé, le virus peut recommencer à circuler.” Et c’est là que le problème peut survenir : s’il se propage pendant plusieurs mois, il peut, par mutations, redevenir virulent. “C’est ce qui s’est passé avec ce patient américain. Il a été exposé à cette souche du virus issue d’un vaccin oral et a développé des symptômes car il n’avait pas été vacciné”, résume Maël Bessaud. Dans le monde, 698 cas de polio liés à des dérivés de souches vaccinales ont été recensés dans le monde en 2021, selon l’OMS, chez des personnes non vaccinées uniquement.

Un virus circulant inconnu

“Alors ce patient vient nous rappeler que même si nous nous sentons protégés, le virus est toujours là et que le seul moyen de s’en protéger est de se faire vacciner”, insiste encore l’expert en virus de la poliomyélite. Preuve en est, mi-août, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains ont annoncé que la souche du virus de la poliomyélite qui avait infecté le jeune homme avait été détectée dans plusieurs échantillons d’eaux usées prélevés entre mai et juillet. Rockland d’où il se trouve, jusqu’à Orange et New York voisins. Et les États-Unis ne sont pas les seuls intéressés. Au Royaume-Uni, l’avis a été donné dès juin. Des traces du virus de la poliomyélite ont été trouvées dans les eaux usées de huit arrondissements de Londres. “Et les analyses montrent que ces souches récoltées sont apparentées à celles trouvées aux Etats-Unis, ainsi qu’à d’autres obtenues à Jérusalem”, note Maël Bessaud. “Non seulement le virus circule bien, mais les frontières aussi.” En réponse, le Royaume-Uni, où la vaccination contre la poliomyélite n’est pas obligatoire contrairement à la France, a proposé une injection à tous les enfants londoniens âgés de 1 à 9 ans. “Pour la majorité de la population, vaccinée, il y a un petit risque. Mais celui-ci augmente dès qu’on pénètre dans des quartiers ou des communes où le taux de vaccination est faible”, note l’expert. “Cela montre également l’importance de la mise à jour avec des injections de rappel.” En France, la première injection se fait à deux mois, puis à quatre et onze mois. Après cela, il faut effectuer des rappels à 25, 45, 65 ans puis tous les dix ans. L’inquiétude est d’autant plus vive, pour Maël Bessaud, que la crise du Covid-19 a entraîné la plus forte baisse des vaccinations infantiles en près de trente ans, selon l’ONU. Selon un rapport publié en juillet, le pourcentage d’enfants ayant reçu les trois doses du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTC) est passé de 86 % en 2019 à 81 % en 2021. Au total, environ 25 millions d’enfants ont raté une ou plus de doses de vaccin contre la poliomyélite en 2021. 1⃣8⃣ millions d’enfants n’ont pas reçu un seul vaccin en 2021 – le plus ↘️ au cours des 29 dernières années, en raison de : 🔸 Troubles liés au #COVID19 🔸 urgences 🔸 désinformation sapant l’acceptation et la demande de vaccins L’OMS & @UNICEF tirent la sonnette d’alarme 🚨 🆕 données sur la couverture vaccinale mondiale ⬇️ – Organisation mondiale de la santé (OMS) (@WHO) 14 juillet 2022

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L’espoir d’un nouveau vaccin

Serons-nous un jour capables d’éradiquer complètement la poliomyélite de toute la planète ? “Malheureusement, je crains qu’on n’atteigne un plafond de vaccination”, déplore l’expert de l’Institut Pasteur. “Certaines régions du monde sont très difficiles d’accès pour des raisons de sécurité, notamment en Afrique. Dans d’autres, notamment au Pakistan et en Afghanistan, nous sommes confrontés à une population qui refuse catégoriquement de faire vacciner leurs enfants”, explique-t-il. “Et sans vaccination complète, la maladie ne sera jamais éradiquée.” Malgré tout, l’expert se veut optimiste. “Le virus sous sa forme sauvage perd du terrain. En 2021, seuls six cas ont été recensés”, précise-t-il. Et un nouveau vaccin oral, qui devrait limiter le risque que le virus redevienne pathogène, est actuellement testé. « Il est actuellement géré dans une vingtaine de pays. Dans un an ou deux, nous verrons si cela fonctionnera”, conclut-il. “Et puis on peut espérer approcher du zéro cas.”