“C’est déjà épuisant d’être appelé à l’aide – ad vocatus – jour et nuit, mais c’est encore plus épuisant de lutter contre une chaîne de plus en plus enchevêtrée, rouillée, bloquée.” Cette chaîne à laquelle fait référence l’avocat pénaliste Éric Morain dans un communiqué partagé vendredi 26 août sur Twitter, est celle de la justice. La même dont il vient de se séparer, ad vitam æternam. Classé parmi les 30 avocats les plus puissants de France par le magazine GQ en 2019, ce ténor du Barreau de Paris, jadis pénaliste, jadis défenseur du vin naturel et des viticulteurs liés à sa production, raccroche le toge 26 ans après avoir pris le serment. “Cette robe pleine de plis et de douleur est usée”, écrit-elle. L’ancien avocat dit qu’il est un peu fatigué, et surtout fatigué, du système judiciaire actuel. « Dans quelques années, je ne veux plus être avocat à 60, puis 65, puis 70 et puis plus encore, dans ce monde de la justice qui ne nous écoute plus. Je crois que je n’ai plus la force”, confie-t-il dans un texte aux allures de pamphlet qui mêle tristesse, amertume et mélancolie. Éric Morain dénonce, entre autres, “les non-réformes de plus en plus discréditantes de la justice”. Il regrette également que les audiences soient reportées d’un an ou plus, [les] des délais de préavis de plus en plus longs, notamment en matière familiale, [les] lettres de cour que nous attendons parfois des années, [les] erreurs matérielles exponentielles, [les] prolongations de consultations, [la] prolifération forcée des soumissions de fichiers et de vidéos […]Il ajoute que « le temps passé même à obtenir des réponses ou des informations dues à nos clients litigieux a décuplé en 5 ans ». Lire aussi l’édito du Figaro Magazine : “Une justice injuste” “Je n’ai pas choisi ce travail pour cet effondrement à venir”, répète-t-il. A 52 ans, Éric Morain s’était illustré comme avocat dans plusieurs affaires largement médiatisées depuis le début des années 2000. C’est lui, par exemple, qui avait défendu les victimes du terrorisme dans les propres attentats de Nice, à Magnanville. et sainte. -Etienne du Rouvray en tant que défenseur de la Fédération Nationale des Victimes d’Agressions et d’Accidents Collectifs (FENVAC). “Après avoir prêté serment d’humanité, nous avons promis de faire le labeur et les coups à la place de nos clients, de ne pas brancher un système gangrené et à rien, rien à rien réparer” C’est à nouveau qu’il a défendu le général Philippe Rondot dans l’affaire Clearstream au début des années 2000. Il a assisté le militaire durant ses 140 heures d’auditions. En 2018, apprenant la situation du plus vieux détenu de France, Michel Cardon – condamné en 1977 pour meurtre -, il s’engage à ses côtés et demande la clémence du président de la République, ce qui aboutit à la libération conditionnelle des 67 -an et sa sortie de prison en juin 2018. Lire aussi Le durcissement des peines, un atout pour la hausse de la délinquance Éric Morain a également défendu plusieurs femmes victimes de violences sexuelles, dont deux des victimes présumées de Tariq Ramadan. Ou du cyberharcèlement, comme la ministre de l’Economie sociale et solidaire Marlène Schiappa, la journaliste de Libération Nadia Daam ou l’ancienne vedette de films pour adultes Nikita Bellucci. Autant de faits d’armes qui ont contribué à la solide réputation dont il jouit aujourd’hui et au profond respect que lui portent la plupart de ses pairs. “Puisque nous avons juré humanité, cela signifie que nous avons promis de faire le travail et les coups de poing pour nos clients, de ne pas engorger un système gangrené et rien, rien pour réparer quoi que ce soit”, souligne-t-il. Comparant son métier d’avocat à “un vieil amour”, Éric Morain ne le nie pas et va jusqu’à plaider en sa faveur. Il invite ses “collègues plus jeunes et moins jeunes” à aimer “ce métier intensément” et à continuer “à croire aux matins”, avec foi voire avec folie. Sur Twitter, de nombreux avocats, juges et journalistes ont réagi à cette annonce. « Quand un tel avocat dépose la toge, c’est une défaite de la justice. Affliction. Immense tristesse. Mais respecte. Immense respect… », s’est notamment ému l’avocat parisien Alain Jakubowicz. À VOIR AUSSI – Karting à Fresnes : “La prison n’est pas une fête équitable”