Albert ne veut pas se lever. Il secoue la tête en se frottant le front contre l’asphalte. L’imaginant en détresse, une âme charitable lui asperge bien le visage d’une bouteille d’eau. Ce jeune Camerounais a les yeux rouges et les sinus irrités par le gaz lacrymogène qui vient de se répandre, dans la cour de l’EHPAD Les Tourelles à Toulouse, un important groupe CRS. Les fonctionnaires ont été contraints d’utiliser leurs mains avec parcimonie pour contenir un mouvement de foule potentiellement dangereux.
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Par groupes, ces jeunes, qui se disent mineurs, quittent cet immeuble du quartier Lardenne que certains d’entre eux occupent depuis des années. Ils ont crié à la face des policiers et certains ont glissé leur majeur tandis que d’autres, plus calmement, ont rappelé aux forces mobiles la devise de la République française : « Liberté, égalité, fraternité ». La police reste impassible. Aucun débordement de leur part n’est signalé. Les squatters restent dans la rue pendant un certain temps avec leurs maigres possessions enveloppées dans de vieux sacs polochons ou des valises élimées. Aux premières heures du vendredi 26 août, la police a évacué ce bâtiment abandonné. Cette ancienne maison de retraite a besoin, à terme, d’être rénovée et d’accueillir des femmes seules à haut risque et des mères isolées. La préfecture a mis en œuvre une décision prise par le tribunal administratif le 3 mai ordonnant l’expulsion du squatteur à la demande du CCAS (centre communautaire d’action sociale) et de son président, Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse. En 2019, la ville s’est engagée avec des associations d’aide aux migrants dans un projet pilote d’accueil et d’accompagnement de ces jeunes. Le programme est cassé. La violence, l’anarchie, la prostitution et la traite ont peu à peu gangrené le système. Le maire a préféré arrêter le coût. Sans aucun remords.
“Ils finiront sur la route, avec tous les dangers que cela comporte”
Pour les clubs qui ont suivi ces immigrés, pour la plupart maliens, c’est un déchirement. Anne, membre bénévole de l’association TEC 31 (soutien à la scolarisation des mineurs non accompagnés), dispense à de jeunes squatteurs des cours de français hebdomadaires. Elle juge l’application de cette décision de justice complètement absurde : “Ces immigrés occupaient un hôtel appartenant à la métropole de Toulouse, l’avenue Etats-Unis. Ils ont été transférés aux Tourelles mais, là-bas, rien n’est prévu ! Ils se retrouveront sur la route avec tous les dangers que cela comporte. On ne comprend pas pourquoi la mairie ne leur trouve pas de logement. A Toulouse, il est facile de trouver un grand immeuble comme celui-ci. Jusqu’à preuve du contraire, ces jeunes sont mineurs, le conseil départemental est tenu par la loi de les prendre en charge et de les protéger. » La réalité est plus subtile. Sur la centaine de jeunes évacués, seuls trois ont été identifiés comme mineurs par le juge des enfants et ont donc été pris en charge par les services communaux de quartier dans le cadre de leur mission de protection de l’enfance pour les orienter vers les structures appropriées. Les autres jeunes ont été considérés par le procureur comme des adultes. Pourtant, ces squatteurs sont livrés à eux-mêmes dans les rues de Toulouse… Certains des jeunes expulsés se sont dirigés vers le palais de justice quelques heures après avoir été évacués mais n’ont pas tenté d’entrer dans le bâtiment. La police nationale les a surveillés jusqu’en début de soirée, les squatteurs des Tourelles étant restés calmes. Le soir, ils étaient tous réunis dans les allées de Jules Guès, sans doute pour y passer la nuit.