La boutique Paul Marius, rue des Carmes à Rouen – Photo Christophe Hubard/Paris-Normandie Publié le 24 août 2022 à 19h46 Temps de lecture : 5 minutes Tout a commencé par un simple message Instagram adressé à Balance Ton Agency mi-août. Depuis plus d’un an, ce compte géré par Anne Boistard diffuse des histoires anonymes de violences habituellement dans le monde de la publicité. “Voici un utilisateur qui m’a posé une question. Il allait être recruté par Paul Marius et il voulait avoir des avis sur l’entreprise », raconte Anne Boistard. Une fois la demande postée sur son compte, elle reçoit des dizaines de témoignages, racontant les mêmes histoires.
“Une entreprise à fuir”, une administration de Florent Poirier, créateur et PDG de la marque de maroquinerie rouennaise, est vécue comme tyrannique et nuisible. Une famille, “tribu” qui fonctionne. Une entreprise au chiffre d’affaires régulier (une vingtaine d’offres d’emploi postées sur Indeed en août), où les salariés finissent par tour à tour frapper à la porte.
Une success story à Rouen
Loin de l’image portée par Paul Marius depuis sa création en 2010. A Rouen, le maroquinier est cité en exemple de réussite. En un peu plus de dix ans, Florent Poirier a développé sa marque à travers la France. D’un premier magasin en 2014 à Rouen, il en compte aujourd’hui 39 en France et en Belgique. Elle compte environ 200 salariés en France et 1 400 en Inde où sont fabriquées ses pièces.
Le Rouennais de 30 ans continue de mettre en avant son histoire personnelle. Celle d’un autodidacte, parti de rien et qui a eu l’idée de créer sa marque, en observant un jour un couple “avec un vieux sac et un vieux sac”, depuis la terrasse d’un café. Et s’en tenir à une entreprise qui prône la bienveillance envers ses employés.
“On met des paillettes dans vos yeux”
Les commentaires que nous avons recueillis témoignent d’une autre réalité. Tous liés à d’anciens employés. Plus de dix. Tout est couvert du sceau de l’anonymat. Par peur des représailles, expliquent-ils. Certains ont cependant quitté l’entreprise il y a quatre ans. Les débuts des histoires sont identiques. Ils provoquent des entretiens d’embauche « où ils mettent clairement une étincelle dans l’œil », résume Camille*, embauchée au siège en 2018. Pour la plupart des personnes rencontrées, il s’agit de leur première voire deuxième expérience dans le monde de travailler. Très vite, ils sont frustrés. “Pendant la pause déjeuner de mon premier jour, trois employés pleuraient en cuisine”, se souvient Cassandre, embauchée en 2019.
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Le management et la personnalité de Florent Poirier cristallisent les tensions. Il est dépeint comme un homme d’affaires exigeant et pressé, par qui toutes les décisions doivent être validées dans une entreprise “où tout est gouverné par la peur”.
“Tout ce qu’on a fait, on l’a fait pour lui plaire”, témoigne Natacha, qui a passé six mois au service communication. Si nous faisions une petite chose qu’il n’aimait pas, cela pourrait aller très loin. Des voix publiques qualifiées d’”humiliation publique”.
“Une fois, il nous a dit que nos textos étaient de la merde et qu’en cinq minutes, il s’est assis sur un coin de table et qu’il a fait mieux”, poursuit Natacha. “Il aimait nous répéter : ‘Je soutiens 200 personnes en France, 1 500 en Inde, et qui soutenez-vous ?’ « Plusieurs anciens employés disent.
“Il y avait une ambiance malsaine”
« Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai pleuré, confie Clara, qui a quitté l’entreprise en 2020. Ça te détruit doucement mais sûrement, ça t’enlève toute confiance en toi. “Il y avait une ambiance malsaine. Il était le roi. Quand nous avons été embauchées, nous avons dû apprendre notre histoire par cœur pour la montrer aux clients », se souvient Marlène, qui travaillait comme vendeuse en 2017.
Une anecdote est restée gravée dans la mémoire de plusieurs anciens associés. En septembre 2021, pour fêter les dix ans de Paul Marius, une importante conférence de deux jours a été organisée au Château de Belbeuf, acquis par la marque en 2020. Tous les collaborateurs étaient conviés. Parmi les animations proposées, une pièce de théâtre a été jouée. Il dépeint la vie de Florent Poirier. Lire aussi Cyberattaque sur Ehpad : ‘J’espère qu’on ne volera pas notre maman’
Des proches à des postes clés
Au sein de Paul Marius, le reste de l’administration se distingue également, également par sa gestion autoritaire. Aux postes clés, Florent Poirier y a placé des proches. Son épouse Marie Fauvin-Poirier a occupé le poste de DRH jusqu’en 2021. Elle en est aujourd’hui la directrice générale. Sa belle-mère Martine Fauvin en a été, entre 2016 et 2020, la directrice commerciale. Il a été remplacé par Hugues Mas, un membre de la famille proche. Enfin, Raphäel Fauvin, son beau-frère, est le directeur Europe de Paul Marius. Une situation qui pouvait être gênante lorsqu’un employé voulait parler de son ressenti au travail. Lire aussi Le maroquinier Paul Marius ouvre une boutique éphémère dans le jardin du château La plupart des personnes que nous avons rencontrées ont témoigné des pressions exercées par la direction lors de leur départ. Certains ont été contraints de démissionner, d’autres ont réussi à faire résilier leur contrat. Mais à chaque fois, “on nous a dit qu’on n’aurait de boulot nulle part, que Florent avait le bras long”, raconte Caroline, qui a démissionné. En 2018, dans un portrait de lui-même consacré à Paris-Normandie, Florent Poirier confiait que lorsqu’il faisait des petits boulots, il s’était fait “la promesse, si un jour j’étais le patron, de ne pas traiter les gens comme ils me traitaient”. *Tous les noms ont été changés
Florent Poirier, PDG de Paul Marius : “J’avoue avoir fait des erreurs”
Florent Poirier lors de notre entretien, mercredi 24 août 2022 – Photo Christophe Hubard/Paris-Normandie Florent Poirier a accepté de nous recevoir, le mercredi 24 août 2022, dans sa boutique de Rouen, place des Carmes, pour évoquer cette affaire.
Comment avez-vous réagi aux témoignages postés sur le compte Balance Ton Agency ?
Nous l’avons pris très au sérieux. Mon équipe et moi sommes très affectés par la situation. A partir de lundi (22 août), nous avons mis en place un numéro vert avec les professionnels de santé pour tous nos collaborateurs. Le CSE a tenu une réunion extraordinaire. Les représentants du personnel sélectionneront une société indépendante pour réaliser un audit social à la rentrée.
Dans ces témoignages et dans ceux que nous avons recueillis, vous êtes qualifié d’administrateur tyrannique. Comment répondez-vous à ces critiques ?
Il dépeint une opération terroriste dans laquelle personne ne peut partager une idée. Ces propos ne concordent pas avec ce que vivent nos partenaires. Ils font référence à une période que nous connaissions plus tôt (lire aussi l’épisode “WahtsApp portal”). Quant aux attaques dont je suis victime, je suis chef d’entreprise depuis mes 20 ans, j’ai parcouru tous les départements de ma boîte, à aucun moment on ne peut me traiter de tyran. J’avoue que j’ai fait des erreurs, j’ai été maladroit, si j’ai blessé quelqu’un, je m’en excuse sincèrement, mais aujourd’hui Paul Marius est synonyme de gentillesse. C’est une entreprise où il y a beaucoup d’influence. Oui, il y a des gens qui ont quitté l’entreprise, qui ont eu une mauvaise carrière.
Connaissiez-vous à l’époque la portée de vos observations ?
Avec certitude…